Vieillir, c’est non seulement arrêter de faire des listes, mais aussi comprendre de quelle façon s’exposer à la lumière. Comme les plantes, savoir attraper chaque petite clarté tout en accueillant leur poids d’ombre.
Louise Browaeys, La Reverdie
C’est un matin ordinaire, mais je vois dans le dictionnaire que le terme ordinaire est associé à banal, quelconque, médiocre… Il ne s’agit pas de cela mais d’un matin où j’essaie de vivre le plus simplement possible ou, comme le dis Louise Browaeys, où j’essaie d’attraper chaque petite clarté, sans oublier que chacune contient sa part d’ombre.
Christiane Singer le dit ainsi, dans son style théâtral que j’aime tant :
Tout est beau et terrifiant sur cette terre – et la naissance et la mort – le velouté et le râpeux – le miel et le fiel – la foi et la détresse. J’ai porté la couronne de l’amour et j’ai mordu la poussière. Il ne m’a pas été permis de faire un choix. J’ai dû tout prendre. Et tout était bien ici. Comment la clarté des étoiles nous serait-elle visible, si la nuit ne leur prêtait pas, pour s’en détacher, son fond de ténèbres ?
C’est un matin ordinaire, après une nuit d’insomnie malheureusement ordinaire – difficile de voir la petite clarté de ces nuits tant la fatigue accumulée est intense ! – je me réveille avant le jour, Lumière plante ses griffes dans mon pied à travers le drap puis, pour se faire pardonner, vient se coucher contre ma tête en ronronnant. D’accord, je ne me lève pas tout de suite. Ainsi, pour une fois, je pourrai prendre mon premier café à la boulangerie quand elle ouvrira. Mon café dehors, dans la lumière et les bruits du matin, avec un livre et mon carnet que j’emporte partout sans forcément y écrire, mais on ne sait jamais…
En rentrant je croise deux voisines, petit partage léger et joyeux car dans mon immeuble nous nous connaissons tous depuis le jour où je suis arrivée et que j’ai choisi de le rendre vivant, amical et solidaire. Si, si, à Paris c’est possible ! Mon immeuble est un immeuble tout à fait ordinaire, et c’est devenu pour moi un lieu où il fait bon vivre.
C’est un matin ordinaire mais je prends le temps d’écrire, pour cela il me faut un peu de courage. Lumière continue sa nuit dans le lit défait. Je me fais un thé dans la théière de maman, je pense à elle entre sourire et tristesse, la journée va être très chaude et je me coule dans cette chaleur, je fais corps avec elle pour que mon corps l’accueille, simplement.
Comme il nous est difficile d’être simple et de vivre, comme ces fleurs, sans pensées et sans peurs, elles qui sont pourtant dans l’essentiel, à se donner sans attente et sans pourquoi.
C’est un matin ordinaire, avec sa clarté et sa part d’ombre. Lumière a sauté du lit, il est temps que je prenne ma liste de choses à faire, apprendre à vieillir n’est pas si simple pour moi !